Rétrospective Toyota GT One : entretien avec Ange Pasquali (partie 1)

Quand Ove Andersson, le patron de Toyota Team Europe, a lancé le projet TS 020, il a mis en place deux hommes clé : André de Cortanze, le directeur technique qui a dessiné la voiture, et Ange Pasquali, le team manager en charge de toute la partie sportive. Les deux hommes ont travaillé en total osmose pendant de nombreuses années. Partis d’une feuille blanche, ils ont géré tout le projet GT One, de l’étude à la réalisation, des premiers tours de roue, en passant par les deux participations aux 24 Heures du Mans en 1998 et 1999. Ange Pasquali est revenu sur cette formidable aventure qui reste, pour lui, le point d’orgue de sa carrière.

Pour commencer, au niveau de la conception de GT One. Une partie a été faite au Japon ou tout a été construit en Europe au sein du T.T.E. (Toyota Team Europe) ?

« Tout a été fait en Europe, à Cologne (Allemagne). Nous avions, bien sûr, une aide technique du Japon mais les moteurs ont été conçus, assemblés et développés en Europe. La voiture a été dessinée entièrement en Allemagne. À l’époque, pour pouvoir courir en GT, il fallait construire une voiture de série homologuée pour la route. Il y en a eu une produite et, à partir de cette base, nous avons fait la voiture de course. 90% ont été réalisés à Cologne par le « papa », André de Cortanze. »

Le challenge était donc double : construire à la fois une voiture de route homologuée et une de course. Ça a dû être un travail de titan ?

«  C’était un très gros morceau ! André de Cortanze a débarqué avant moi en décembre 1996, et je suis arrivé début 1997. On s’était dit que l’on ferait le premier roulage avant Noël, c’était un gros challenge. Pari réussi : le 23 décembre, la veille de Noël, nous étions au Paul Ricard pour les premiers tours de roues. La voiture était tellement bien née que c’est finalement devenu une séance d’essais. Dès le premier jour, différents réglages de suspensions ont été testés. Ce fut vraiment un grand moment, puis il a fallu construire l’équipe. En 1997, nous sommes venus aux 24 Heures du Mans en tant qu’observateurs pour voir ce que l’on pouvait mettre en place. Des essais en 1998 en Allemagne et à Lurcy-Lévis ont été menés, nous avons pas mal tourné. C’était vraiment un gros challenge et tout a été fait dans les temps. Nous avons tout et étions prêt à gagner dès la première année. »

Pour Toyota, c’était une époque un peu folle : le début du projet endurance et la fin du rallye. Comment avez-vous vécu cela ?

« Le projet Le Mans a été pour moi l’un des plus beaux projets auquel j’ai participé. Ça a été une aventure humaine incroyable ! En partant d’une feuille blanche, il a fallu construire l’équipe, embaucher des gens. Travailler pour un constructeur qui a de grosses ambitions vous offre des conditions privilégiées. De plus, collaborer avec quelqu’un comme André de Cortanze, un vrai génie de la technique, un spécialiste des 24 Heures du Mans et un puits d’expérience, a été intéressant et enrichissant.  C’est un souvenir incroyable, aussi beau que frustrant. Frustrant car nous sommes partis deux fois de la première ligne des 24 Heures du Mans et sommes vraiment passés près de la victoire à chaque fois. La première année, il nous a manqué une 1 h 20  avec Thierry Boutsen et une quarantaine de minutes la deuxième année avec Ukyo Katayama. Nous méritions de gagner, mais c’est Le Mans, ça fait partie du jeu. Cependant, ce que nous avons vécu a été tellement fantastique. Trois voitures, neuf pilotes avec qui ça s’est très bien passé et deux années où nous avons été vraiment performants. Nous avions réalisé une grosse préparation, fait beaucoup de tests. Seulement quand on ne fait que Le Mans, c’est comme les Jeux Olympiques. Ils se préparent pendant quatre ans, Le Mans en un ! Si ça se passe bien, c’est l’apothéose, sinon il faut attendre un an pour revenir. Après 1999, on espérait Toyota referait Le Mans une dernière fois avant le projet F1, mais ça n’a pas été possible : mener deux fronts aurait été vraiment compliqué. »

Que vous a-t-il manqué ?  Un peu de réussite ? Vous aviez pourtant tout sur le papier pour aller au bout …

« Je pense qu’il nous a manqué un peu de réussite surtout la deuxième année. Cependant, nous avons aussi fait quelques petites erreurs, mais elles n’étaient pas rédhibitoires pour les 24 Heures. Nous avons eu quelques petits problèmes que l’on a résolus pendant la course. Niveau stratégie, nous avions fait les bons choix. Par contre, il nous a manqué de la chance puisqu’on a cassé un arbre de transmission sur la voiture de Thierry Boutsen en 1998 à un peu plus d’une heure de la fin. C’est le propre de l’endurance : nous n’avons pas été fiables, nous avons cassé, ça peut arriver. Ensuite, la deuxième année a été vraiment un manque de réussite avec Ukyo Katayama. La piste était vraiment très très sale et il a eu une crevaison. Il a été exceptionnel car, à 250 km/h, il a réussi à garder la voiture sur la piste puis la ramener au stand. Les mécaniciens ont fait un travail fantastique. On termine deuxième, on ne réécrira pas l’histoire. On dit toujours qu’il faut faire Le Mans trois fois, c’est pour cela que l’on voulait revenir en 2000, mais ça n’a pas été possible. Aujourd’hui encore, la GT One est encore une voiture d’actualité, alors qu’elle a vingt ans, c’était une voiture pas simplement belle, mais aussi efficace et très en avance sur son temps. »

A suivre…

Photos Toyota Motorsport