Suite de notre entretien avec Ange Pasquali, le team manager de Toyota aux 24 Heures du Mans 1998 et 1999 avec les GT One !
Que représente pour vous les 24 Heures du Mans ?
« Pour moi, c’est la plus belle épreuve ! Le Mans est incomparable et unique, c’est difficile de la classer quelque part. C’est un truc magique que l’on ne retrouve pas ailleurs, avec une ambiance à part. C’est une montée en puissance pendant toute la semaine : ça démarre avec le Pesage, et même bien avant puisque toute l’équipe travaille en amont. Les vérifications aux Jacobins, à l’époque, pouvaient paraître rébarbatives mais ça faisait partie de la magie, comme à l’époque du rallye Monte-Carlo avec la concentration au parc. C’est une aventure humaine : on construit tout à l’approche du Mans, puis, pendant la semaine, on rentre dans un état de concentration incroyable. Ce que l’on ressent lors du départ, vous ne le retrouvez nul part ailleurs, même un départ de Grand Prix de F1 ne vous procure pas la même émotion ! C’est quelque chose que j’ai failli revivre avec Peugeot en 2006. J’ai fait partie des trois personnes qui ont été pressenties pour prendre la direction sportive du projet, je suis arrivé jusqu’à la dernière ligne droite, mais Peugeot a choisi quelqu’un d’autre (Michel Barge, ndlr). Cela m’intéressait, je pense que j’aurais pu apporter quelque chose, j’avais cette expérience du Mans. J’ai le sentiment d’avoir vraiment adhéré à cette course et repartir avec Peugeot d’une feuille blanche m’aurait intéressé. »
Au niveau du choix des pilotes, avez-vous des regrets ?
« Aucun regret parmi les pilotes que nous avons eus. Le seul que je peux avoir est par rapport à un homme que nous n’avons pas pu avoir. A l’époque, nous avions fait des essais avec Carlos Sainz. On avait comme projet de l’aligner en course, le problème est qu’il courait aussi en WRC, c’était très compliqué de combiner les deux programmes. On avait presque réussi à le faire, mais au niveau timing, c’était trop tiré par les cheveux. Carlos est un très grand professionnel et on ne voulait pas faire les choses n’importe comment. Il fallait qu’il puisse disputer un certain nombre de séances et, au moins, une simulation de 24 heures. Cela n’a finalement pas abouti et c’est vraiment l’un de mes regrets, car même aujourd’hui, je suis persuadé qu’il aurait été très compétitif ! C’est quelqu’un que j’estime beaucoup, c’est un très grand monsieur du sport automobile. Au niveau des autres pilotes, nous avons très bien travaillé ensemble. Pour diverses raisons, nous n’avons pas renouvelé le contrat Eric Helary et Geoff Lees en 1999, nous les avons remplacés par Vincenzo Sospiri et Allan McNish. »
A l’époque, certaines personnes n’avaient pas été très tendres avec Martin Brundle…
« Honnêtement, Martin a fait un super boulot. Peut être qu’une certaine presse a mal perçu les choses. En interne, ça correspondait à notre tableau de marche donc nous n’avons rien à lui reprocher. C’est quelqu’un qui nous a énormément apporté lors du développement de la voiture. Il a effectué un formidable travail. »
Chez Toyota, vous aviez Ove Andersson comme patron, un grand monsieur du sport automobile. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
« Excellent ! C’est quelqu’un pour qui j’avais énormément de respect. Pour ce qu’il a fait, pour son coté humain et parce qu’à un moment donné, il m’a offert ma chance en me donnant sa confiance tout de suite. C’était un homme, contrairement à d’autres, qui savait déléguer, il donnait des responsabilités et il vous laissait faire. C’était mon patron, il vérifiait et supervisait ce que je faisais, bien sûr, mais, c’était quelqu’un qui savait vous accompagner dans le travail. De plus, c’était un puits d’expérience. J’ai été vraiment affecté par sa mort subite (il est décédé, le 11 juin 2008, après avoir été percuté par un camion lors du rallye Continental Milligan Vintage Trial en Afrique du Sud, ndlr), c’est vraiment de la malchance. Avec lui, j’ai monté le projet Le Mans et celui de la F1. Je me rappellerai toujours de notre premier Grand Prix avec lui, en Australie, où l’on avait ramené un point. C’était un homme ferme comme un patron doit l’être, mais aussi très humble et qui savait toujours être à l’écoute des autres. Il m’a énormément marqué ! »
On va revoir à Le Mans Classic la Toyota GT One avec Manu Collard au volant. Pourquoi cette voiture a-t-elle autant marqué son époque alors qu’elle n’a jamais gagné une course ?
« Cette auto était tellement en avance sur son temps ! C’est comme dans la chanson, on se demande pourquoi des chanteurs qui, trente ans après leur mort, ont leurs tubes en boîte de nuit, c’est parce qu’ils avaient à leur époque trente ans d’avance sur les autres ! Je ne dis pas que la GT One avait trente d’avance, mais elle était tellement révolutionnaire dans son concept. Je pense que nous avons marqué les esprits avec l’approche et le professionnalisme que l’on avait. Nous avons quand même quelque part dominé la concurrence. En 1998, mais surtout en 1999, c’étaient sept constructeurs, énorme ! Je me souviens de cette affiche fabuleuse qui avait été faite pour cette édition des 24 Heures du Mans ! Il était écrit : « BMW vient, Toyota vient, etc… Et vous, vous venez ?». Ça voulait tout dire ! »
Photos Toyota Motorsport